Ou comment on a (presque) tout remis en question
Les années 70 : abdos, posture et théorie de l’évolution
Le paradigme de l’époque
Dans les années 1970, la compréhension du mal de dos était relativement simple :
on pensait que les douleurs lombaires étaient le prix à payer pour notre passage de la quadrupédie à la bipédie. Résultat ? Un dos trop cambré, des vertèbres qui se « pincent »… et des douleurs inévitables.
La solution : rectitude et renforcement abdominal
La logique médicale dominante était alors la suivante :
si le dos fait mal, c’est parce qu’il n’est pas assez droit. Il faut donc le redresser.
On prescrivait alors :
du renforcement abdominal pour réduire la cambrure lombaire,
des coussins semi-lunaires pour « casser » la lordose en position couchée,
une posture rigide et très droite en toute circonstance.
Et étonnamment… ça fonctionnait !
En réalité, ce n’est pas tant la posture droite qui aidait, mais le renforcement de la ceinture abdominale, qui permet une meilleure répartition des charges. Car si cette ceinture est faible, toutes les contraintes s’accumulent au seul point d’attache osseux entre le haut et le bas du corps : les vertèbres lombaires.
Les années 80-90 : la révolution McKenzie
Un accident heureux
C’est en Nouvelle-Zélande que Robin McKenzie, kinésithérapeute, découvre par hasard une nouvelle piste. Un patient souffrant du dos reste allongé, le dos en extension sur une table d’examen… et repart soulagé, alors même que cette position allait à l’encontre de toutes les recommandations de l’époque.
Un nouveau paradigme : l’extension
McKenzie développe une hypothèse novatrice :
le mal de dos ne viendrait pas d’un écrasement osseux, mais d’un déplacement du disque intervertébral.
Sa théorie :
en flexion (penché en avant), la pression pousse le disque vers l’arrière, comprimant les nerfs,
en extension (penché en arrière), le disque se recentre, soulageant la douleur.
Cette méthode domine alors la kinésithérapie pendant plus de 30 ans, appuyée par des études affirmant que la flexion augmentait jusqu’à 300 % la pression sur les disques.
2015 : la déconstruction des certitudes
Les études de Brinjikji
En 2015, une méta-analyse du Dr Brinjikji et son équipe bouleverse notre vision du dos.
Ils réalisent des IRM sur des personnes sans douleurs lombaires… et les résultats sont édifiants :
Changement observé | 20 ans | 30 ans | 40 ans | 50 ans | 60 ans | 70 ans | 80 ans |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Discopathie dégénérative | 37 % | 52 % | 68 % | 80 % | 88 % | 93 % | 96 % |
Perte de signal discal | 17 % | 33 % | 54 % | 73 % | 86 % | 94 % | 97 % |
Perte de hauteur discale | 24 % | 34 % | 45 % | 56 % | 67 % | 76 % | 84 % |
Bombement discal | 30 % | 40 % | 50 % | 60 % | 69 % | 77 % | 84 % |
Protrusion discale | 29 % | 31 % | 33 % | 36 % | 38 % | 40 % | 43 % |
Fissure annulaire | 19 % | 20 % | 22 % | 23 % | 25 % | 27 % | 29 % |
Ce que ça change
La dégénérescence est normale : à 30 ans, plus d’une personne sur deux présente déjà des anomalies discales… sans douleur.
Une hernie discale ne veut pas dire souffrance : la plupart des anomalies sont asymptomatiques.
Vieillir n’est pas une pathologie : ces changements sont des marqueurs du temps, comme les rides sur le visage.
L’IRM n’est pas une condamnation : elle doit être confrontée à l’examen clinique, pas prise comme vérité absolue.
La remise en question des études anciennes
Une méthodologie douteuse
Les fameuses études des années 70-80 sur la pression intra-discale, qui servaient de référence pendant des décennies, étaient… faites sur des cochons morts. Oui, des disques intervertébraux porcins, percés de capteurs et mesurés à froid.
Peut-on extrapoler ça à un humain vivant, mobile, vibrant, sensible ? Bien sûr que non.
Encore aujourd’hui, en 2025, nous n’avons pas de méthode fiable et éthique pour mesurer la pression discale chez l’humain vivant.
Où en est-on aujourd’hui ?
Ce que l’on sait
L’âge et la génétique sont les principaux facteurs d’évolution discale.
L’activité physique, la sédentarité, le stress, le tabac jouent aussi un rôle.
Une « belle » IRM n’exclut pas la douleur. Une « mauvaise » IRM ne la justifie pas forcément.
McKenzie version 2.0 : la préférence directionnelle
Aujourd’hui, la méthode McKenzie a évolué :
on ne cherche plus à imposer un mouvement, on teste ce que le patient tolère et améliore.
En ostéopathie, cela se traduit par un principe simple :
on travaille dans le sens de la non-douleur, après avoir testé toutes les directions.
Quand faut-il s’inquiéter ? Les drapeaux rouges
Certaines situations nécessitent une consultation médicale urgente :
perte du contrôle des sphincters (urines, selles),
faiblesse motrice majeure,
paralysie progressive ou perte de sensation brutale.
Conclusion : l’humilité, notre meilleure alliée
L’histoire de la hernie discale est un cas d’école.
On a d’abord dit : « faites des abdos », puis « faites de l’extension », avant de réaliser que la réalité est bien plus complexe.
Aujourd’hui, on travaille avec humilité, nuance et bon sens.
Chaque patient est unique
L’écoute clinique prime sur les protocoles
La science évolue
Il faut parfois savoir dire : « Je ne sais pas (encore). »
🧠 Et la prochaine fois qu’on vous dit que votre douleur vient « forcément de votre hernie », posez-vous la question : à quelle époque se sont arrêtées ses connaissances ?